La courte histoire du Viacryl® pour la conservation des vitraux : une expérience du LRMH
A la fin du XXe siècle, la plupart des vitraux des cathédrales et églises, exposés depuis des siècles à l’action des agents chimiques et physiques de leur environnement, sont dans un état de conservation alarmant, les verres sont corrodés et ont perdu leur transparence, la peinture fixée sur leur surface disparaît, les réseaux de plombs se déforment. L’introduction de nouveaux produits et de nouveaux procédés est lente dans la conservation des monuments historiques en raison de la méfiance des professionnels quant à la durabilité et à l’efficacité de ces nouveaux traitements. Cependant, dans les années 1970, pour répondre aux différents problèmes posés par la conservation des vitraux, différents procédés de nettoyage et de protection sont mis au point par les laboratoires spécialisés comme le LRMH. C’est le cas, par exemple, des collages des verres pour remplacer les plombs de casse, ou encore des films de polymères appliqués sur la face externe des verres pour les protéger des agressions de l’eau et de la pollution atmosphérique.
Ainsi, le pôle Vitrail du LRMH réalise-t-il des recherches approfondies sur l’efficacité et la durabilité d’un produit utilisé comme revêtement de protection pour la face externe des verres. Ce produit est une résine polyuréthane composée d’une résine acrylique Viacryl® SM 546 ou 363 (80%) diluée dans l’acétate d’éthylglycol mélangé avec de l’isocyanate aliphatique Desmodur® (20%) dilué lui-même dans du xylène et de l’acétate d’éthylglycol. Le Viacryl® est ainsi une métonymie utilisée comme nom commun pour désigner cette résine. Le choix de cette résine a été réalisé après de nombreux tests en laboratoire de vieillissement accéléré de divers films de résine, de leur vieillissement par l’anhydride sulfureux, et de leur perméabilité à l’humidité. Des essais de réversibilité après vieillissements artificiel et in situ ont également été réalisés et ils ont prouvé que le film de Viacryl® était facilement réversible au moyen d’une solution de Cital 12-12. Pour protéger les verres à l’aide d’un film de Viacryl®, il était recommandé de nettoyer au préalable les vitraux. Pour cela, des recherches ont également été menées sur différents procédés de nettoyage. Une solution aqueuse d’EDTA et de bicarbonate d’ammonium a été le procédé le plus recommandé par le LRMH au cours des années 1970-1980.
Cette même résine a été recommandée par le LRMH dans les années 1970-1980 comme consolidant des grisailles pour la face interne des vitraux. Le même mélange que pour le film de revêtement composé de Viacryl® (80%) et de Desmodur® (20%) était utilisé mais il était dilué à 50%, en 1974, puis à 5%, en 1988, dans l’acétate d’éthyle et appliqué soit à la micropipette ou au pinceau sur les traits de grisaille. L’objectif est d’infiltrer sous les traits de grisaille la résine qui est alors absorbée par capillarité. Une fois la grisaille refixée, il est alors possible de la nettoyer avec un coton-tige imbibé d’acétate d’éthyle pour éliminer la poussière et les produits d’altération.
Technique de refixage de la grisaille, 1974 (C) Jean-Pierre Bozellec, LRMH
Dès sa mise au point, le Viacryl® est utilisé régulièrement sur des vitraux qui sont souvent très anciens (XIIe-XIIIe siècles) et qui constituent des chefs-d’œuvre de l’art du vitrail en France. Ainsi, en 1974, le Viacryl® est-il utilisé sur la verrière de L’Ascension de la cathédrale du Mans en face externe en tant que film de revêtement protecteur, et sur la face interne en tant que consolidant pour les grisailles. Il est également appliqué sur les vitraux de la cathédrale de Chartres, La Passion du Christ, en face externe, en 1976, et La Passion typologique et La Mort de la Vierge, en face interne, en 1988, et enfin sur la verrière de la cathédrale de Bourges, Le Jugement dernier, en face externe, en 1981.
Des recherches sur le Viacryl® étaient également menées par les docteurs Bacher et Bauer qui ont réalisé la première application in situ de Viacryl sur certains vitraux de l’église Sancta Maria am Gestade à Vienne, en Autriche, dès 1971. En 1977, le pôle Vitrail du LRMH a été invité à aller voir l’évolution du Viacryl® in situ six ans après son application. Il a alors été conclu que le film de résine avait eu une action protectrice et une bonne résistance aux agents atmosphériques, et qu’il était parfaitement réversible, confirmant ainsi les résultats des tests de vieillissement accélérés réalisés par le LRMH.
Il existait alors deux manières d’appliquer le Viacryl® en face externe. La première, conseillée par Ernst Bacher, consistait en l’application de la résine sur toute la surface du panneau, c’est-à-dire verres et plombs, sans dessertissage, comme cela a été fait à Sancta Maria am Gestade. La deuxième, recommandée par le pôle Vitrail du LRMH, conseillait l’application de la résine sur chaque pièce altérée après dessertissage total et remise en plombs.
Vue d'ensemble du vitrail de la Passion typologique, cathédrale Notre-Dame de Chartres. 1976 (C) Jean-Pierre Bozellec, LRMH
Dès ses premières applications, le Viacryl® a néanmoins subi de vives critiques, notamment lors de la restauration des verrières occidentales de la cathédrale de Chartres en 1976, où il est accusé d’avoir fait disparaître le « bleu de Chartres ». Ainsi, lorsque se pose la question de la protection des vitraux de la cathédrale de Bourges et notamment de la baie du Jugement dernier, l’utilisation du Viacryl® est longuement discutée, au travers de multiples réunions, correspondances, et du colloque international organisé en juin 1978 par le LRMH. Ces doutes étaient dus au très mauvais état de conservation des verres et à la polémique suscitée par l’application de cette résine sur les verrières de Chartres. Il a finalement été décidé en 1980 d’appliquer le Viacryl® sur la partie basse de la baie sans dessertissage, afin de pouvoir comparer l’évolution de l’état de conservation des panneaux protégés et non protégés in situ.
Au cours des années 1980, le LRMH réalise des premières observations pour vérifier l’état de conservation du film organique sur les vitraux. En 1983, une étude approfondie par le pôle Vitrait du LRMH est menée sur l’état de conservation du film et des verres est observé pour les vitraux de la cathédrale de Chartres 8 ans après l’application du Viacryl®, ceux de la cathédrale de Bourges 2 ans après et du Mans. L’objectif est d’étudier l’évolution du film de résine, la surface des verres protégées, et la réversibilité du Viacryl®. Des fissurations et des décollements du film ont alors été observées sur certains panneaux. A Bourges où le Viacryl® avait été appliqué sur toute la surface verres et plombs, des fissures le long du réseau de plombs sont déjà constatées. Cependant, l’action protectrice du film est constatée étant donné que les produits de corrosion ne se sont pas formés sous le film.
Au milieu des années 1980, la protection des verres par film de résine est progressivement abandonnée en France pour être remplacée par la mise en place de verrières extérieures. Cependant, l’utilisation du Viacryl® pour la consolidation des grisailles se poursuit. En 1988 par exemple, le LRMH conseille après une étude des vitraux du transept et de la nef nord de la cathédrale de Strasbourg, l’application de Viacryl® en tant que consolidant des grisailles mais envisage plutôt la pose d’une verrière de protection extérieure afin de limiter la condensation sur la face interne des vitraux plutôt qu’un film protecteur de Viacryl® sur la face externe.
Une utilisation indispensable des verrières de protection extérieures
Dès les années 1970, alors que se développaient les films de résine pour protéger la face externe des vitraux, les verrières de protection extérieures étaient déjà proposées et favorisées en Allemagne. En effet, dès cette époque, il était déjà reconnu qu’elles permettaient de protéger la face externe comme le film de Viacryl®, mais aussi de protéger la face interne des phénomènes de condensation. Aujourd’hui, les verrières de protection sont recommandées dans toutes les situations et semblent désormais indispensables à la conservation préventive des vitraux anciens.
En 2017, par exemple, le LRMH après une étude des vitraux de la chapelle axiale de la cathédrale Saint-Julien du Mans, considérait que l’installation d’une verrière de protection était la seule alternative pour conserver ces vitraux très altérés sur site. Ces verrières de protection présentent de nombreux avantages, elles permettent d’isoler la face externe des agressions atmosphériques tout en limitant les risques de condensation sur la face interne par une ventilation. Le LRMH propose un accompagnement aux architectes et conservateurs pour mettre en place ces verrières de protection. L’application de film en résine Viacryl® n’est plus recommandée depuis les années 1980.
Vue extérieure de la verrière de protection, vitrail dit "de l'Ascension", cathédrale Saint-Julien du Mans. 2018 (C) Adèle Rellier, LRMH
Texte : Romane Mazzieri
Le projet CONSTGLASS et l’évaluation de l’efficacité et de la durabilité du Viacryl®
En 2004, le LRMH reçoit deux panneaux de vitraux de la cathédrale de Chartres pour observations et analyses, L’Arbre de Jessé et La Vie du Christ qui avaient été recouvert d’un film de Viacryl® sur la face externe. Cette dépose des vitraux après 30 ans a permis au LRMH de faire le constat de l’état du film organique et des verres afin d’établir un bilan sur les avantages et inconvénients de l’application du Viacryl® en face externe. La majorité du film de résine s’est altéré et a disparu car il a été soumis aux intempéries, aux polluants et à la lumière qui est en partie responsable du changement de la couleur du film, normalement transparent et devenu jaune-vert. Afin d’aller plus loin dans ce bilan sur le Viacryl®, d’autres panneaux devaient être étudiés en laboratoire.
Ecailles de Viacryl® en face externe, loupe binoculaire. 2009 (C), LRMH
De 2007 à 2010, le projet européen CONSTGLASS (Conservation of stained-glass windows), « Matériaux de conservation pour les vitraux – Evaluation de la durabilité, de la réversibilité et de la reprise des traitements » est alors mis en place, auquel participe les ingénieurs du pôle Vitrail du LRMH afin de comprendre l’impact et faire le point sur les applications des films organiques de Viacryl® réalisées dans les années 1970 et 1980 en France. L’objectif de ce projet est, avec près 30 ans de vieillissement naturel in situ, de faire un bilan sur ces produits de conservation-restauration, proposer des stratégies pour remédier à la reprise des traitements et étudier le degré de réversibilité de ces matériaux. Dans ce cadre, certains panneaux des cathédrales de Chartres, de Bourges et du Mans sont déposés et étudiés par le LRMH en laboratoire.
L’état de conservation des films de résine, comme cela avait été observé en 2004 sur les vitraux de Chartres, est mauvais. Le film a quasiment disparu, il est totalement fissuré et écaillé. Une hypothèse d’altération du film de Viacryl® est alors proposé : avec le temps, des bulles d’air seraient apparues entre le film de résine et la surface altérée des verres, car la surface sur laquelle le film était posé n’était pas homogène. Cela aurait entraîné le craquèlement du film jusqu’à former des pellicules. Ces pellicules se seraient ensuite progressivement décollées à cause de l’apport d’eau et la cristallisation des produits d’altération du verre qui pouvait alors reprendre. Les pellicules de Viacryl® partent alors sans difficulté sauf dans certains cas où elles entraînent avec elles la partie superficielle du verre. Cette altération du Viacryl® peut également provoquer une altération atypique des verres, l’altération « en réseau ». Le film de Viacryl® se craquelant, il laisse des zones non protégées où l’altération recommence, mais toutes les parties encore protégées ne s’altèrent pas. L’altération du verre n’est donc pas uniforme et ressemble à un réseau.
Détail macroscopique, fissuration du film, cathédrale Notre-Dame de Chartres. 1982 (C) Jean-Pierre Bozellec, LRMH
Ces informations permettent de mettre au point des techniques de nettoyage de ce film de résine. Il est ainsi conseillé de supprimer toutes les particules de Viacryl® restantes. Pour cela, le LRMH recommande d’appliquer des compresses d’éthanol sur la surface afin de ramollir les pellicules de Viacryl® restantes et ensuite d’essuyer la surface avec ce coton. Ce traitement peut être répété une deuxième fois afin de supprimer tout le Viacryl®. Le film étant très dégradé, il n’est pas nécessaire d’utiliser du Cital 12-12 comme cela avait été conseillé dans les années 1970.
Dans le cas du Viacryl® utilisé en tant que consolidant pour les grisailles, il a été constaté que cette consolidation était toujours efficace 30 ans après. Cependant, sur certains panneaux de la cathédrale du Mans, l’altération du verre avait repris à certains endroits ce qui avait provoqué un soulèvement du film de grisaille consolidé. Le LRMH conseille alors de ne pas intervenir sur la grisaille, et de seulement éliminer le Viacryl® quand il a été posé autour de la grisaille.
Il a été conclu après les études des vitraux des cathédrales de Chartres, Bourges et du Mans dans le cadre du projet CONSTGLASS que le Viacryl® a rempli son rôle de protection jusqu’au moment où il a commencé à s’altérer chimiquement et physiquement. A partir de là, le verre non protégé s’altère de nouveau. L’altération suit les craquelures du film de résine, créant une altération en réseau, et s’étend à toute la surface quand les pellicules de Viacryl® se décollent.
Le LRMH prescrit ainsi, en général, une élimination complète du film de Viacryl® et l’installation de verrières de protection. Pour la cathédrale du Mans, par exemple, la verrière de L’Ascension a ainsi été complètement restaurée et protégée par une verrière extérieure.