Le cas des peintures murales romanes de la vallée du Loir : étude de la technique picturale et conseils de conservation par le LRMH
Le LRMH a participé à la connaissance des peintures murales romanes par les études qu’il a réalisées sur les peintures de la salle capitulaire de l’ancienne abbaye de la Trinité de Vendôme et de l’église Saint-Jacques de Saint-Jacques-des-Guérets.
Scène de "La pêche miraculeuse", état des peintures en septembre 1972, avant restauration. Vendôme, ancienne abbaye de la
Trinité, salle capitulaire. 1972 (C) LRMH, Jean-Pierre Bozellec.
Les peintures de la Trinité de Vendôme se situent parmi les plus belles productions de l’art mural roman. Elles ont été découvertes en 1953 par Michel Ranjard lors de travaux de réfection de la salle capitulaire sur le mur primitif de cette salle. Ce dernier avait été doublé en épaisseur au XIVe siècle, permettant ainsi la conservation des peintures romanes. Celles-ci, restées cachées jusqu’en 1972, ont été mises au jour avec le démontage du mur gothique. Elles ont conservé leurs rehauts et leurs finitions originelles, bien qu’elles ne soient pas conservées dans leur intégralité. En effet, toute la partie haute a disparu, et il en outre est possible de penser que le décor peint ornait toute la pièce. Il ne reste ainsi qu’une partie du programme iconographique qui avait été réalisé à la fin du XIe siècle sous l’impulsion de l’abbé Geoffroy (1093-1132). Jean Taralon, premier directeur du LRMH, et Hélène Toubert, alors directrice de recherche au CNRS, ont réalisé des monographies de ces peintures dans lesquelles ils identifient les cinq scènes qui ont été entièrement ou partiellement conservées. Ces dernières représenteraient le Repas d’Emmaüs, la Pêche miraculeuse au lac de Tibériade, l’Investiture de Pierre en cathedra, la Mission donnée aux apôtres et l’Ascension, et décriraient la vie du Christ après sa Résurrection.
Les peintures de l’église de Saint-Jacques-des-Guérets ont, quant à elles, été découvertes en 1890 par l’abbé Haugou qui, avec l’aide d’Henri Laffilée, spécialiste de la peinture médiévale, a initié les premiers dégagements de ces peintures. Elles sont souvent citées pour leur beauté. Le programme iconographique évoque la rédemption de l’homme par le Christ et la disposition des scènes participe à l’énonciation de ce message. Ce thème correspondait aux objectifs d’une église paroissiale, qui étaient d’enseigner les principaux dogmes de la religion, tout en fournissant des images pour servir de support à la méditation ou à la contemplation. Le décor principal a été daté de la fin du XIIe siècle, et les deux scènes dans le chœur, représentant la Cène et le Martyre de saint Jacques des premières années du XIIIe siècle.
Le rôle du pôle Peinture murale et polychromie du LRMH est double : il étudie la technique picturale et participe aux choix de conservation des peintures.
En 1972, des prélèvements des peintures de Vendôme ont été effectués et analysés en laboratoire. Ils donnent des renseignements sur la stratigraphie, les pigments et les liants. Ainsi, il s’avère que la stratigraphie montre deux couches d’enduit de chaux et de sable, la première à gros grains de quartz, et la deuxième, riche en chaux et fine : celacorrespond à la technique de la peinture à fresque. De plus, les pigments utilisés sont uniquement des matériaux naturels comme les ocres rouge et jaune et les verts. Un mélange de pigments noirs, verts, jaunes et orangés a permis d’obtenir le gris-bleu de la mer qui ne contient pourtant aucun pigment bleu. En 1974, du lapis-lazuli est identifié en laboratoire mais, étant donné son prix, il n'a été utilisé que sur des petites surfaces, comme les rehauts pour dessiner des plis de robes des personnages. Enfin, aucun liant organique n’ayant été trouvé après des études par spectroscopie IR et colorisation sur coupes minces, on a pu en conclure que les peintures étaient de « vraies fresques ». Cette constatation est d'autant plus intéressante qu'elle contredit l’opinion généralement admise, selon laquelle cette technique ne se rencontrait pas dans les peintures murales romanes de cette région.
Des analyses similaires ont été effectuées pour les peintures de Saint-Jacques-des-Guérets en 1973 et des conclusions similaires ont pu en être tirées. Ce sont également des fresques, sans liant organique et avec des pigments minéraux naturels. Quelques pigments plus rares ont été détectés comme le minium de plomb pour le rouge ou le lapis-lazuli pour le bleu.
Scène illustrant "La pêche miraculeuse", prélévement effectué dans le bleu du pli du vêtement d'un des personnages. Coupe 685 (3 couches). Vendôme, ancienne abbaye de la Trinité. 1974. (C) LRMH, Jean-Pierre Bozellec
La seconde mission du pôle Peinture murale et polychromie a donc été de donner des conseils pour la conservation des peintures murales et donc de ces fresques.
Pour celles de Vendôme, le LRMH a assuré un suivi très régulier entre 1974 et 1976 avec plus de 11 visites du site dans le but de suivre l’évolution de l’altération des peintures qui était alors en cours. En effet, à partir de 1974, la surface des fresques a commencé à blanchir et des efflorescences se sont formées jusqu’à recouvrir l’œuvre entière. Au début de l’année 1975, ce phénomène s’est stabilisé. Les scientifiques du pôle ont alors mis en place des essais de nettoyage du voile blanc au moyen d’un solvant passé légèrement. Ces essais de nettoyage se sont avérés positifs et on a confié la restauration de l’œuvre à un restaurateur pour appliquer la méthode de nettoyage mise au point par le LRMH. En parallèle de ce suivi des altérations de l’œuvre, le LRMH a conclu en 1976, après une analyse climatologique, que les peintures étaient dans des conditions climatiques de conservation correctes et qu’elles pouvaient être maintenues in situ. En 2006, le LRMH a de nouveau été sollicité afin d’identifier et de proposer un traitement aux taches blanches qui étaient apparues sur la surface des peintures murales. Après des analyses, le laboratoire a conclu que le blanchiment n’était pas d’origine microbiologique mais qu’il était dû au sulfate de calcium - ou gypse - qui s’était formé à la surface des œuvres en raison de la vitre installée, après leur restauration en 1979, pour les protéger.
Scène de "La pêche miraculeuse". Après la seconde campagne de restauration, suite à celle effectuée en 1974. Vendôme,
ancienne abbaye de la Trinité, salle capitulaire. 1979 (C) LRMH, Jean-Pierre Bozellec
Les fresques de l’église de Saint-Jacques-des-Guérets sont soumises à d’autres problèmes de conservation. L’atmosphère de l’église est très humide en raison de sa localisation. Elle est, en effet, installée dans la plaine alluviale du Loir, en cuvette et soumises aux risques des crues. Dès 1975, cette humidité induit le développement d’algues et d’efflorescences. Le pôle Microbiologie du LRMH y a réalisé des essais d’application d’algicides afin de déterminer les produits efficaces pour lutter contre ces colonisations. De 1975 à 1982, de nombreuses études ont concerné l’assainissement de l’église et de ses peintures afin de réduire l’humidité ambiante qui, à terme, risquait de provoquer des dégradations sur les fresques. Après une étude du Laboratoire Régional de l’Equipement de Blois qui a procédé à une reconnaissance géologique et hydrogéologique du site de l’église, le LRMH a conseillé de réaliser un drainage classique autour de l’église et surtout l’enlèvement des plaques de ciment qui revêtaient la base des murs et favorisaient les remontées capillaires vers les peintures murales. Un autre problème est posé, en 1996, par des développements de mousses, algues et bactéries sur les peintures, mis en évidence par le Laboratoire d’Etude des Matériaux. Le LRMH est alors consulté sur le produit à utiliser pour traiter cette colonisation. Enfin, en 2003, l’architecte Patrick Ponsot demandait l’expertise du LRMH à propos des taches d’humidité présentent sur les murs de l’église qu’il considérait comme un préalable indispensable à toute préconisation d’intervention.
Texte : Romane Mazzieri
(Re)Découvrir les peintures murales romanes
Parmi les nombreuses peintures murales romanes qui existaient au XIIe siècle, très peu ont subsisté jusqu’à aujourd’hui. En effet, l’évolution des mentalités, les changements de mode et les destructions dues aux guerres les ont presque toutes fait disparaître. Malgré cela, la vallée du Loir, dans la Sarthe, est un haut lieu de la peinture murale, grâce à celles conservées encore aujourd’hui à Cloyes, Areines, Montoire, Lavardin, Saint-Jacques-des-Guérets, Poncé ou encore à l’abbaye de la Trinité de Vendôme. Toutes ces peintures romanes ont été badigeonnées ou recouvertes d’enduits entre le XIVe et le XVIIIe siècle et ont été oubliées, ce qui a permis leur préservation malgré un endommagement considérable. A partir de la fin du XIXe siècle, les peintures murales sont découvertes petit à petit, de façon fortuite, la plupart du temps au cours de travaux de restauration ou de réaménagement. La découverte des peintures murales de Saint-Savin-sur-Gartempe, chef-d’œuvre de l’art roman, a permis la réhabilitation de la place de la peinture murale dans l’art médiéval et a motivé l’intérêt des historiens et des archéologues. Depuis, la connaissance de la peinture romane a beaucoup progressé grâce aux nouvelles découvertes et aux études réalisées à leurs propos.
Mur nord, scène 5 : supplice de Savin et Cyprien. État des peintures en janvier 1992. Abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe. 1992 (C) LRMH, Dominique Bouchardon
Pour en savoir plus
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DIA00000710
Type de document : Image
Auteur(s) : BOZELLEC, Jean-Pierre
Date du cliché : 1973
Commentaire sur le cliché : Saint Jacques de Guéret (Loir-et Cher), église Saint Jacques : vue d'ensemble du mur nord présentant un développement d'algues, avant traitement.
Commune (INSEE) : Saint Jacques des Guérets
Nom de l'édifice : Saint Jacques
Précision sur l'édifice : Mur nord
Datation de l'oeuvre : XIIe