L’utilisation fréquente du rayonnement UV-C depuis 2014 et son amélioration
En 2014, les effets des UV-C sur les pigments préhistoriques n’étaient pas encore connus, il était donc impossible de les utiliser sur des zones proches des œuvres pariétales ou sur elles-mêmes. Au cours d’études menées par le LRMH depuis 2014, cet aspect a été abordé. Les principaux pigments identifiés sur des sites d’art rupestre, c’est-à-dire le noir d’os, le charbon de bois, le noir de manganèse, l’hématite et les ocres rouge et jaune ont été étudiés. On a pu ainsi montrer que les compositions minéralogiques, les liaisons chimiques et les morphologies des particules constituant les pigments n’étaient pas affectées par le rayonnement UV-C. Ainsi le rayonnement UV-C permet-il de tuer les micro-organismes sans qu’aucun changement de couleurs ou de structure chimique ne soit observé pour les pigments préhistoriques.
En 2019, avec le conseil du LRMH, la première utilisation des UV-C sur des peintures pariétales sur la « frise noire » de la grotte de Pech-Merle, située dans la commune de Cabrerets a pu être réalisée. En effet, des tâches vertes qui s’y développaient se sont révélées être, après examen, des micro-organismes chlorophylliens sur lesquels il était possible d’utiliser les rayonnements UV-C. Un traitement identique à celui effectué à la grotte de Gargas a alors été mis en place. En parallèle de celui-ci, le LRMH a mené des analyses pour vérifier qu’il n’engendrait pas de changement sur les œuvres, ainsi que des suivis des températures et de l’humidité relative pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’anomalie thermique résiduelle après le traitement. Le traitement UV-C a permis d’éradiquer les algues vertes recouvrant la frise noire, sans avoir d’impact sur la conservation et l’intégrité de l’œuvre. Comme pour la grotte de Gargas, un changement d’éclairage est néanmois nécessaire pour régler le problème de façon pérenne.
NUM20190419. Traitement UV-C en cours. Cabrerets, Grotte de Pech-Merle. 2019. (C) LRMH, Alexandre François
Les UV-C ont également été conseillés par le LRMH pour la Grande Grotte d’Arcy-sur-Cure en 2019, ainsi que pour la grotte de Combarelles 1, la grotte de Font-de-Gaume et celle de Pair-non-Pair en 2020. En outre, en 2018, les rayons UV-C ont été utilisés pour la première fois pour l’élimination des micro-organismes chlorophylliens sur une œuvre sculptée en pierre calcaire, la Vierge à l’Enfant du musée de Poitiers. Cette œuvre datant de 1480-1500 était dans un état de conservation très critique à son arrivée au musée, et était notamment recouverte de micro-algues, mousses et lichens. Etant donné son état de dégradation, la plupart des traitements traditionnels ne pouvaient être appliqués, il a alors été décidé d’utiliser les UV-C qui ont complètement éliminé les algues vertes mais pas les lichens noirs.
Pour en savoir plus
Le LRMH et la grotte de Gargas : une longue histoire (1974-2021)
La grotte de Gargas, classée au titre des monuments historiques depuis 1910, est située sur la commune d’Aventignan dans le département des Hautes-Pyrénées, et domine la vallée de la Neste d’Aure. Elle est constituée de deux cavités situées à des niveaux différents : la cavité supérieure (incluant la galerie Casteret) et la cavité inférieure qui communiquent par un passage artificiel creusé au début du XXe siècle.
Cette grotte est un site majeur de l’art préhistorique et plus précisément du Paléolithique. En effet, elle contient une décoration pariétale de 231 mains peintes en négatif sur plusieurs panneaux, datées de plus de 27000 ans, ainsi qu’un ensemble de 145 gravures de tracés digitaux et d’animaux (bisons, bovidés, équidés, cervidés, mammouths, oiseaux…) et des peintures représentant des animaux, des taches de couleurs ou des groupes de points. La renommée de cette grotte est essentiellement due au fait que la plupart des mains représentées ont la majorité de leurs doigts tronqués. Mutilations ou phalanges repliées ? Trois hypothèses principales ont été formulées pour répondre à ce mystère : pratique de mutilations volontaires lors de cérémonies d’initiation, pour marquer un deuil ou en sacrifice aux dieux ; explication médicale des mutilations dues à des engelures ou à des maladies nécrosantes ; langage gestuel au moyen de doigts repliés. S’il est certain aujourd’hui qu'il s'agit d'images de mains mutilées, les débats continuent encore quant à la raison.3ème panneau de la grotte de Gargas, Aventignan. 1976, (C) LRMH, Jean-Pierre Bozellec
La grotte de Gargas est connue depuis longtemps, puisqu'une première description est publiée en 1575 par François de Belleforest dans la Cosmographie universelle de tout le monde et qu'un graffiti à l’intérieur de la grotte, signé Saynhac, date de 1587. Dès la fin du XIXe siècle, elle est exploitée pour le tourisme, ce qui a eu des conséquences néfastes sur sa conservation. Pourtant, la grotte de Gargas est une des rares grottes ornées préhistoriques toujours ouverte au public, ce qui implique le devoir de préserver l’intégrité des peintures tout en permettant aux visiteurs de les admirer dans de bonnes conditions.
Le LRMH, et plus précisément les pôles scientifiques Microbiologie et Grottes ornées, ont largement participé à l’histoire de la grotte de Gargas dès 1974 et jusqu’à aujourd’hui. En effet, en 1974, le pôle Grottes ornées y réalise une première mission photographique et, en 1976, une étude, pour vérifier si l’éclairage est adapté et pour mettre en place une opération de pulvérisation de biocide sur les zones colonisées par les algues. De plus, en 1978, il réalise une étude climatique générale en réponse à une demande du gérant de la grotte qui envisage le percement d’un tunnel entre la galerie Casteret et le tunnel déjà existant. Etant donné que les deux cavités constituent deux unités relativement indépendantes l’une de l’autre, le LRMH conseille de prévoir une isolation sous forme de sas ou de portes étanches pour éviter un déséquilibre des facteurs de conservation. Suite à ce rapport, la décision est finalement prise de refuser le percement de ce tunnel en raison de la certitude de variations climatiques, si les deux parties de la grotte étaient mises en communication.
En parallèle de ces études, le pôle Microbiologie du LRMH réalise des études sur le contrôle de la pollution algale, bactérienne, fongique des grottes de Gargas, Pech-Merle, Niaux, Tibiran, Les Merveilles et Le Portel qui font l’objet de deux rapports en 1975 et 1977. Ces études avaient pour but de déterminer les dispositions à prendre pour rétablir la stabilité nécessaire à la conservation des œuvres préhistoriques, perturbée par des facteurs d’origine naturelle ou humaine. Il a été constaté que lors de la période hivernale, quand les visites étaient rares, il se produisait une auto-épuration des grottes rétablissant l’équilibre naturel au niveau de la microflore et des algues. Le LRMH conseillait tout de même de continuer les contrôles et de réaliser une étude climatique plus détaillée.
Dans les années 1980 et 1990, le LRMH a continué à se rendre à la grotte de Gargas et à conseiller le propriétaire, la commune d’Aventignan, en cas de problème de conservation. C’est le cas en 1980 lorsqu’il faut faire de nouvelles pulvérisations de liquide biocide pour nettoyer la cavité en raison du développement de végétaux chlorophylliens.
Dans les années 1990, la grotte de Gargas est victime de son succès, en effet, l’équilibre climatique de la grotte est rompu par l’impact des visites et les algues et les mousses prolifèrent sur les parois et le sol de la cavité, menaçant la conservation des peintures. En 1992, à la demande de la 7ème section de la Commission supérieure des Monuments Historiques, le pôle Grottes ornées s’est rendu à Gargas pour constater les colonies d’algues et de mousses qui s’étaient développées à proximité des points d’éclairage et recommander quelques solutions immédiates.
Un programme de réaménagement total est finalement élaboré par Olivier Naviglio, architecte en chef des monuments historiques, mis en œuvre de 1997 à 2004. Un cheminement continu entre l’entrée et la sortie de la cavité a été réalisé en acier inoxydable pour éviter les déambulations inopportunes sur les sols de la grotte, l’éclairage a également été refait intégralement et les deux cavités ont été séparées pour rétablir la stabilité thermique naturelle originelle. Les conditions sont désormais réunies pour que la conservation des œuvres soit assurée et que les visites se passent dans de bonnes conditions.
De 2015 à aujourd’hui, le pôle Grottes ornées du LRMH a été sollicité de nouveau pour réaliser, en 2015, un suivi aérobiologique de la grotte qui a montré qu’il n’y avait pas d’anomalie des taux de micro-organismes dans l’air ; en 2019, pour conseiller une méthode d’étanchéification de l’entrée inférieure qui jusque-là provoquait la création d’un voile blanc recouvrant les mains sur la frise des mains et donc des problèmes de lisibilité des œuvres ; et en 2020, pour donner son avis à propos du changement d’éclairage, nécessaire en raison de la nouvelle législation.
Texte : Romane Mazzieri