À l’issue de cette première phase, nous étions en mesure de différencier deux types de badigeon, l’un riche en calcium, probablement un badigeon de chaux, l’autre composé de blanc de plomb dans un liant huileux. Ce dernier s’est révélé particulièrement bien identifiable sur les photographies sous ultraviolet par sa fluorescence jaune d’or. Une stratigraphie assez peu complexe, c’est-à-dire avec peu de couches superposées, et une palette relativement réduite (blanc de plomb, ocres, vermillon, azurite) dans les parties colorées visibles, ont été mises en évidence, ainsi qu’une utilisation de feuilles d’or, assez répandue à la fois pour des décors (bords de manteau) et pour les chevelures des Vierges de l’ébrasement droit. La localisation des agrafes et tirants métalliques, une première approche de leur composition et cinq mortiers de réparation différents étaient également détaillés lors d’une réunion organisée sur site par les scientifiques du LRMH, le premier jour du chantier école. Ainsi, les étudiants et les restaurateurs professionnels encadrants ont pu débuter le chantier avec des données matérielles leur permettant de guider leur étude.
La deuxième phase s’est déroulée pendant le chantier : le pôle Peinture murale et polychromie est intervenu pour réaliser des prélèvements dans des zones où les restaurateurs avaient pratiqué des dégagements de fenêtres stratigraphiques mettant au jour plusieurs polychromies sous badigeon. Un échange s’est alors établi entre le Laboratoire et le chantier pour donner des informations quasiment en temps direct sur les successions stratigraphiques ou sur la composition de certaines couches très anciennes. Ce travail d’équipe s’est également déroulé au sein même du Laboratoire où la concomitance des observations des différents matériaux étudiés (polychromie, pierre et mortiers, métaux) par les pôles concernés a amélioré la compréhension globale de l’histoire matérielle de ce chef d’œuvre de la sculpture médiévale.
Les préconisations pour le nettoyage de la sculpture ont occupé la troisième phase de l’intervention du LRMH. Les pôles Pierre et Peinture murale et polychromie se sont à nouveau retrouvés sur le chantier pour assister les restaurateurs professionnels mandatés par la DRAC pour une étude complémentaire. Des méthodes de nettoyage traditionnelles comme le micro-sablage ou l’utilisation de compresses ont été sélectionnées en concertation avec les restaurateurs à la lumière des observations et caractérisations établies lors du chantier-école. Des essais de nettoyage au laser ont également été mis en œuvre sur la pierre de parement et sur la statuaire.
Les différentes synthèses remises aux maîtrises d’œuvre et d’ouvrage, et discutées lors d’une réunion finale à Châlons-en-Champagne, serviront de support à la rédaction du cahier des charges pour la restauration du portail.
L’opération, qui a mobilisé un grand nombre de scientifiques du LRMH sur plusieurs mois et qui a nécessité une forte coordination, est un succès d’un point de vue scientifique et humain. Cette collaboration a tout d’abord permis de constater que dans cette polychromie fragmentaire et lacunaire, parfois cachée sous un badigeon, la Vierge du trumeau faisait exception avec l’identification d’au moins quatre mises en peinture. L’absence de documentation de ces campagnes dans les archives rend cependant la détermination d’une chronologie absolue impossible en l’absence de matériaux que l’on puisse considérer comme des « marqueurs historiques ». Ensuite les observations et les datations des pièces métalliques insérées dans les statues nous permettront peut-être de corréler les périodes de mises en place avec les couches de peinture successives. Enfin, par cette action de formation de l’INP, les élèves restaurateurs, futurs professionnels du patrimoine, ont pu expérimenter une synergie fructueuse avec le LRMH.