Le LRMH et la conservation des tiki et pétroglyphes des îles de Tahiti et de Hiva Oa
La Polynésie française comprend plus de 100 îles réparties en cinq archipels dans l’océan Pacifique. Du 27 janvier au 11 février 2006, les pôles Pierre et Microbiologie du LRMH ont effectué une mission afin de diagnostiquer l’état d’altération des tiki et des pétroglyphes de deux îles de Polynésie française, l’île de Hiva Oa dans l’archipel des Marquises, et l’île de Tahiti Iti dans l’archipel de la Société. Ces îles, et notamment celle de Hiva Oa, étaient très peuplées avant une dépopulation massive au XIXe siècle, provoquée par les maladies importées par les Occidentaux, l’introduction des armes à feu et les sécheresses. Les habitants actuels sont regroupés dans quelques villages mais des vestiges architecturaux et archéologiques couvrent encore une grande partie de l’île. Nombres de ces vestiges sont d’anciens me’ae, c’est-à-dire des sanctuaires religieux de plein air. Les pétroglyphes, blocs ou rochers de basalte ou de tuf gravés de motifs géométriques ou figuratifs, et les tiki, statues représentant les dieux et les ancêtres, semblent avoir été associés en majorité à ces me’ae. Il est probable que la plupart des sites archéologiques de ces îles se situent entre 1400 et 1790, mais la civilisation polynésienne étant essentiellement orale, il est difficile de savoir de quelle époque exacte datent les tiki et pétroglyphes existants aujourd’hui et étudiés par le LRMH lors de sa mission.
Depuis le début du XXe siècle, de nombreux chercheurs ont alerté les autorités compétentes et la communauté scientifique sur l’urgence de protéger et d’étudier le patrimoine de la Polynésie française. Dans ce but, deux sites de Hiva Oa ont été réhabilités et protégés au début des années 1990, Upeke à Taaoa et Iipona à Puamau. Cependant, ces vestiges archéologiques, taillés pour la plupart dans un tuf volcanique tendre, sont sensibles aux dégradations de toutes sortes et leur protection et leur restauration est une urgence absolue sous peine de les voir disparaître.
Tiki Takaii, site d'Iipona, île de Hiva Oa. Etat en 2000., (C) LRMH
Lors de leur mission, les ingénieurs du LRMH devaient établir un constat de l’état d’altération de certaines œuvres en tuf et en basalte. Sur l’île de Hiva Oa, il s’agissait de l’ensemble de Tehueto et du rocher gravé de pétroglyphes dans la vallée de Tahauku et de deux grands tiki (Takaii et Makaii) sur le site d’Iipona dans la vallée de Puamau. Sur l’île de Tahiti Iti, il s’agissait du site de Fare’ape et d’un rocher gravé de pétroglyphes dans la vallée de Papeno’o et des tiki Moana (n°428), Heiata (n°429) et n°430 conservés dans le jardin du musée Paul Gauguin à Papéari.
Rocher gravé de Fare'ape. Photographie ancienne 1920 (?), (C) LRMH
La mission du LRMH consistait tout d’abord en l’identification spécifique des matériaux constitutifs et des altérations des œuvres étudiées, et ce grâce aux observations réalisées sur place et aux analyses en laboratoire, dans le but de préciser les facteurs responsables des désordres et d'émettre des hypothèses sur les mécanismes de dégradation mis en jeu. Dans le cas des tiki du site d’Iipona par exemple, ils ont déterminé que le tiki Takaii était sculpté dans un tuf (agglomérat de scories basaltiques) volcanique rouge alors que le tiki Makaii, représentant la déesse de la fertilité Makii Tau’a Pepe, était en basalte clair microlithique. Le tuf est une roche naturellement peu consolidée alors que les roches basaltiques sont plus dures. En fonction de la nature des roches utilisées, les altérations sont différentes en intensité. Les conditions climatiques tropicales humides et l’abondance des pluies constituent le facteur principal d’altération des épidermes de la pierre. Dans le cas du rocher basaltique gravé de pétroglyphes du site de Fare’ape, sa surface était victime d’un processus de desquamation généralisé qui risquait de faire disparaître les motifs représentant des figures humaines et des cercles concentriques. Cette altération était due à des contraintes thermo-hydriques qui fatiguaient la roche par dilatation jusqu’au stade de la rupture et la création de fissures. Plus généralement, toutes les œuvres étudiées étaient recouvertes d’un encroûtement épais de microorganismes, dont l’identification a montré que malgré leur grande quantité, il était constitué d’un faible nombre d’espèces différentes. Ces recouvrements de végétaux participaient au phénomène d’altération de l’épiderme par la rétention d’eau et activaient le processus de dissolution sélective due aux métabolites excrétés.
Après ce diagnostic des différentes formes d’altération qu’elles soient d’origine biologique, minérale ou structurelle, le LRMH a fait des proposition de restauration. Ont été proposés un traitement des recouvrements de micro-organismes par élimination chimique ; puis l’aménagement des sites pour créer un environnement plus propice à la conservation des œuvres ; et enfin, à terme, après un suivi photographique pour vérifier l’état de surface des œuvres, une campagne de restauration pour le traitement des fissures et des surfaces des œuvres par injection de consolidants.
Pour cela, des essais préalables de faisabilité sur place et en laboratoire ont été réalisés pour déterminer les méthodes de traitement à utiliser. Tout d’abord, différents biocides ont été testés pour l’élimination des lichens et autres recouvrements biologiques de la surface des œuvres. Deux produits ont été testés sur les tiki n°428 et n°429 conservés au musée Paul Gauguin et un suivi photographique, durant trois mois après l’application, a montré qu’ils étaient pareillement efficaces, bien qu’un traitement complémentaire soit à envisager pour un résultat optimal. Ensuite, des essais pour la consolidation des roches ont été menés, le consolidant Funcosil 500E® de la société Remmers étant notamment testé. Le but était de restituer les propriétés mécaniques et la cohésion d’un matériau dégradé. Malgré les conditions peu propices dans lesquelles l’application s’est déroulée, après un suivi photographique pendant deux mois, il s’est avéré que ce type de traitement était envisageable avec néanmoins beaucoup de précautions. Enfin, des essais de dessalement par compresses ont été réalisés in situ pour réaliser un assainissement du tuf.
Tiki n°428. Etat en 2006, (C) LRMH
Quant à l’aménagement des sites, plusieurs mesures d’urgence ont été recommandées par le LRMH. Tout d’abord, il était indispensable de créer des abris pour les tiki ; le musée de Tahiti et des îles a alors proposé un abri en feuilles de pandanus qui permettrait d’assurer une protection efficace contre la pluie et les embruns tout en étant en harmonie avec le milieu environnant. Ensuite, un périmètre de protection contre le public a été proposé, réalisé en cordes reliées par des plots en tuf rouge pour rester en accord avec l’environnement. Enfin, pour les protéger contre le vent et les embruns, il a été proposé d’installer des panneaux verticaux en verre à l’arrière des tiki. Le LRMH a également souligné l’importance d’un entretien régulier des abords.
Après l’intervention du LRMH, ce sont les équipes sur place qui ont pris le relais et qui ont mis en place les suivis photographiques pour observer l’évolution de l’épiderme des œuvres ainsi que l’évolution des envahissements par les végétaux et les micro-organismes. Ils ont également pu mettre en place les mesures conservatoires d’urgence suggérées par le laboratoire.
Schéma d'un abri de principe proposé par le musée
Texte : Romane Mazzieri
Le LRMH et la conservation des églises monolithes de Lalibela en Éthiopie
Aux interventions du LRMH en France, en métropole ou dans les territoires d’Outre-mer, s'ajoutent pour les ingénieurs du LRMH des missions à l'étranger. Ainsi, en 2019 et en 2020, les pôles Pierre et Peinture murale et Polychromie, à la demande du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, ont été sollicités pour accompagner une mission sur l’état des églises creusées dans le roc à Lalibela, en Ethiopie.
Ces onze églises sont situées au centre de l’Ethiopie, à 2600m d’altitude sur un plateau montagneux, à côté du village traditionnel de Lalibela, encore aujourd’hui constitué de maisons rondes traditionnelles. Elles ont été taillées dans une roche basaltique et leur construction est attribuée au roi Lalibela, au XIIIe siècle, qui voulait alors bâtir une « Nouvelle Jérusalem » après la fin des pèlerinages chrétiens en Terre Sainte suite aux conquêtes musulmanes. Ces églises constituent une part importante du riche patrimoine culturel d’Ethiopie et leur importance est reconnue par tous. Le site de Lalibela est séparé en deux groupes principaux d’églises. Au nord du fleuve « Jourdain », un premier groupe est constitué de cinq églises dont Biete Medhani Alem (la maison du Sauveur du monde) ou Biete Mariam (la maison de Marie). Au sud du fleuve, un deuxième groupe rassemble cinq autres églises dont Biete Amanuel (la maison d’Emmanuel) ou Biete Abba Libanos (la maison de l’abbé Libanos). Enfin, Biete Ghiorgis (la maison de saint Georges) est séparée des autres mais leur est reliée par un système de tranchées. Sur le plan artistique, les onze églises ont toutes quelque chose d’unique par leur exécution, leur taille ou leurs décors.
Cependant, ces églises ont beaucoup souffert à la fois du climat, des hommes et du temps. Depuis les années 1970, de nombreuses altérations y sont observées : des fissures, une excessive humidité de la roche, la présence de sels, des désagrégations, une érosion et une perte de cohérence de la roche, et la présence de lichens et de mousses. Toutes ces altérations constituent une menace pour leur intégrité.
Il est intéressant de remarquer que déjà en 1978, le chef de laboratoire du LRMH avait été sollicité pour participer à une mission en Ethiopie organisée par l’UNESCO afin d’étudier les problèmes posés par la conservation des églises peintes. Il avait alors prélevé un certain nombre d’échantillons sur six églises différentes afin d’identifier en laboratoire les sels présents sur les peintures des églises et sur les murs, et ainsi, mieux appréhender les altérations alors visibles.
Le but de la mission du LRMH de 2019-2020 était de prélever des échantillons de matériaux afin de les analyser en laboratoire et déterminer les causes d’altération, et en parallèle, de mettre en place des suivis pour collecter des données significatives sur un an. Ainsi deux monitorings ont-ils été mis en place. Le premier avait pour but de suivre l’ouverture et la fermeture des fractures et fissures ouvertes à l’aide de fissuromètres calibrés. Le second était un suivi climatique pour étudier les contraintes thermiques et hydriques auxquelles sont soumises les roches basaltiques dans lesquelles sont taillées les églises. Ce suivi permettait également d’étudier la relation entre la température et l’humidité relative de l’air qui est déterminante dans les phénomènes de dilatation.
Les conclusions qui ont pu être tirées des analyses et du suivi climatique, ont montré que, comme dans le cas des tiki de Polynésie française avec la construction d’abris en feuilles de pandanus pour les protéger des pluies, une protection des églises par la pose de toitures par exemple s’avère indispensable pour leur conservation. En effet, les tiki et les églises monolithes sont taillés dans la même roche, constituée de scories basaltiques, très sensible aux dégradations notamment par dissolution et ramollissement de la surface dus au lessivage par les eaux de pluie.
Pour en savoir plus
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ARLES - ÉGLISE SAINT-TROPHIME. Études des colonnes irpa : échantillons ai1 à ai9 (fiches stratigraphiques ; notes manuscrites ; analyses ; MEB)
Type de document : Document dossier géographique
Année de publication : 0000
Pôle scientifique : Pierre
Lien vers POP : PA00081139
Cote LRMH : DG_13004_001_423